samedi 14 avril 2007

Banque

a Banque mondiale achèvera-t-elle son assemblée générale de printemps, organisée samedi 14 et dimanche 15 avril à Washington, avec son président ? Les délégués des 185 Etats membres se posaient tous la question la veille de l'ouverture.

Paul Wolfowitz a reconnu, jeudi, "son entière responsabilité" dans la promotion et l'augmentation d'une salariée du groupe, par ailleurs sa compagne, et présenté ses excuses devant la presse. Le jour même, l'Association du personnel de la Banque et les ONG lui ont demandé de démissionner pour sauver la crédibilité de l'institution. Et le lendemain, son conseil d'administration lui infligeait un désaveu en bonne et due forme. Comme le crient les personnels en colère ou les militants de la société civile, tous grades confondus, "la situation est intenable" et le futur incertain.



L'histoire commence en juin 2005 quand Paul Wolfowitz, numéro 2 du Pentagone, est nommé, à l'âge de 61 ans, à la tête de la Banque mondiale, qui a pour vocation de financer des actions de développement, notamment dans les pays les plus pauvres, par des prêts et des dons. Paul Wolfowitz est l'un des représentants les plus en vue du courant néoconservateur qui s'est rallié à George Bush en 2001 et qui a joué un rôle déterminant après les attentats du 11 septembre. D'emblée, il se montre à la hauteur de sa réputation de néoconservateur "pur" : il avertit son conseil d'administration de sa liaison avec la responsable de la communication du département Moyen-Orient de la Banque, Shaha Ali Riza, d'origine libyenne et de nationalité britannique. Il demande au comité d'éthique comment éviter l'inévitable conflit d'intérêt.

Le conseil d'administration lui suggère de la muter dans une annexe de la Banque, sans lien hiérarchique avec lui. L'intéressée s'y oppose. Paul Wolfowitz trouve alors judicieux, à l'été 2005, de la mettre à disposition du Département d'Etat, où il a travaillé notamment comme ambassadeur en Indonésie. Il prévient le conseil qu'il n'y a plus de conflit d'intérêt. Fin du premier acte.

Alors que Mme Riza a été réaffectée à la Fondation pour le Futur, toujours rémunérée par la Banque, fin 2006, des courriels anonymes informent le personnel que ses conditions de départ ont été exorbitantes. De fuites dans le Washington Post en dénonciations dans le Financial Times, l'affaire enfle au point que l'Association du personnel exige une enquête. Elle est conduite par le conseil d'administration. Ses conclusions sont ravageuses pour Paul Wolfowitz. Il a ordonné au directeur des ressources humaines de la Banque d'établir un contrat par lequel Shaha Riza est promue et augmentée, en violation des règles de la Banque. Dans une note à ce haut cadre, Paul Wolfowitz a écrit : "acceptez immédiatement son offre d'être détachée dans l'institution extérieure de son choix, tout en gardant le salaire et les conditions de la Banque." A titre de dédommagement pour sa carrière interrompue pour raisons sentimentales, le salaire de Shaha Ali Riza est passé de 133 000 dollars par an à 193 590 dollars net d'impôts, soit plus que la rémunération de la Secrétaire d'Etat Condoleezza Rice. Il lui a été aussi promis que, lors de son retour au sein du personnel de la Banque, elle bénéficierait, de cinq ans en cinq ans et jusqu'au seuil de sa retraite, de promotions la portant au grade de vice-président. Du jamais vu.

Le personnel s'étouffe de rage et manifeste dans le hall de la Banque. Le conseil d'administration riposte qu'il n'a pas été tenu au courant de cette transaction individuelle, qui ne relève pas de sa compétence. Pour couper court à tout nouveau mensonge de l'entourage du président, il décide - à l'unanimité de ses vingt-quatre membres, l'administrateur américain compris - de publier l'intégralité des documents de l'affaire.

Paul Wolfowitz, le Savonarole démasqué comme truand, a la tête sur le billot. Les langues se délient. "La liaison de Paul Wolfowitz n'est pas le problème, dit une salariée qui requiert l'anonymat comme tous ses collègues, compte tenu de l'ambiance délétère qui règne dans la banque. Shaha est une bonne professionnelle qui a des réseaux efficaces au Moyen-Orient, même si elle n'y est pas toujours appréciée car elle affiche son progressisme par exemple en matière de condition féminine. A la limite, son augmentation exorbitante n'est qu'un révélateur, la goutte d'eau qui fait déborder le vase. Elle symbolise le mépris dans lequel le président et ses proches nous tiennent !"

Paul Wolfowitz s'est fait rejoindre par des amis politiques venus de la Maison Blanche ou du Pentagone. Ceux-ci ont également profité de contrats flous. Il y a Robin Cleveland, simple conseillère du président mais véritable numéro deux de la Banque, baptisée "la dragonne", qui remplace le président quand il s'agit d'en découdre avec la corruption au Tchad. Kevin Kellems, qui règne sur la communication, minute les interviews éclair et fait dire aux journalistes triés sur le volet de ne pas poser de questions sur l'Irak. Suzanne Rich Folsom, qui dirige le département de l'Intégrité, la police interne redoutée. Ou encore, au poste de directeur général, le Salvadorien Juan José Daboub, que l'on dit proche de l'Opus Dei et qui vient de demander que le contrôle des naissances soit supprimé d'un programme pour Madagascar.

Ces amis de "Paul" forment une barrière autour de lui. Ils édictent de façon anonyme les oukases, demandent au personnel de dénoncer auprès d'un cabinet, Williams & Connoly, les "traîtres" qui ont fait parvenir à la presse les termes du contrat de Shaha Riza. Ils mettent au placard ceux qui représentent un obstacle. "Ils ont fait partir en deux ans au moins sept vice-présidents, comptabilise un cadre haut placé. Avec une brutalité inouïe, ils ont chassé du département du Moyen-Orient son vice-président, le Néerlandais Christiaan Poortman, un homme intègre, pas un rebelle." L'homme a été évincé pour avoir dit qu'il n'était pas favorable à la réouverture du bureau de Bagdad. "Ca a signifié pour nous l'interdiction des débats dont nous raffolons à la Banque, poursuit ce cadre. Ces gens sont tellement imbus de leurs convictions qu'ils ont supprimé tout échange d'idées."

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